Article de M. Robert Hue, secrétaire général du PCF, dans "Revue politique et parlementaire" de mars 1999, intitulé "Pour une communauté de peuples et de nations", sur les positions du PCF sur le conflit au Kosovo, l'Europe sociale, l'élargissement de l'UE et la réforme des institutions européennes, dans le cadre de la campagne pour les européennes.

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« La France, le monde ont aujourd’hui besoin d’Europe. Pas d’une Europe-jungle, où tout commence par des rapports de force pour finir par des rapports d’argent. Mais d’une vraie communauté de peuples et de nations où l’on ait envie d’être et de construire ensemble et à égalité. Et d’une puissance pacifique sachant tenir tête à l’empire américain en « mondialisant » un tout autre message : celui de la prospérité partagée, de la solidarité et du droit, du rôle reconnu des femmes dans la société et la politique, d’une modernité conjuguée au progrès humain. »

Ainsi commence le manifeste adopté le 13 mars par les 87 candidat(e)s de la liste « Bouge l’Europe » que j’ai l’honneur de conduire.
La crise dans les Balkans et la tragédie du Kosovo lui donnent un relief particulier car elles révèlent, dans des circonstances dramatiques, à quel point nous avons en effet besoin d’union, de solidarité sur le continent européen. Les conditions de déclenchement de cette guerre, ses atrocités, montrent la fragilité de l’Europe, sa difficulté à s’affirmer sur son propre continent. Elles font concrètement aux Européens nécessité d’une coordination des politiques et des moyens de défense et de sécurité afin de faire face à de telles situations - sans avoir à subir la tutelle étouffante des États-Unis -, en relation avec l’ONU et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).
Créée pendant la guerre froide pour faire face à l’ex-URSS, l’Otan n’a plus de raison d’être aujourd’hui. La question est posée de son remplacement progressif par un système de sécurité réellement européen, qui offre un cadre approprié à la prévention des crises.

Empêcher l’embrasement des Balkans

Aujourd’hui, il faut tout faire pour enrayer l’engrenage de la guerre et empêcher l’embrasement des Balkans. En posant le principe d’une large autonomie du Kosovo, en rejetant toute idée de partition ethnique, l’objectif est d’obtenir l’arrêt des exactions, le retrait des forces serbes, la démilitarisation de la province, la constitution et le déploiement d’une force d’interposition, qui prendrait la forme d’une force internationale de sécurité et de coopération, placée sous l’égide de l’ONU, dont les pays européens pourraient constituer le noyau essentiel, en y associant la Russie et éventuellement d’autres pays d’Europe centrale.
Dès aujourd’hui, on peut travailler à l’organisation d’une conférence européenne pour la paix, la sécurité et la reconstruction dans les Balkans - que nous proposons depuis bien avant le début de la guerre et dont Romano Prodi vient de souligner l’urgence.
De la capacité commune des pays de l’Union à prendre des initiatives politiques dans les Balkans, dépend la possibilité d’établir une paix durable dans la région, mais aussi l’avenir de l’Europe : une Europe ouverte et solidaire avec les pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’avec le Sud. Ces relations indispensables doivent prendre le contre-pied des exigences de l’ultra-libéralisme et de l’extension de la guerre économique mondialisée dont chacun peut mesurer aujourd’hui les fractures qu’elle engendre.
J’ai la conviction que l’élargissement de l’Union européenne aux pays de l’Est de l’Europe est une nécessité, à la condition de ne pas imposer à toute force l’adhésion à « l’acquis communautaire », en l’occurrence au noyau dur des dogmes libéraux. Et il est essentiel que ces pays soient partie prenante de l’élaboration du projet commun. Il faut également développer des liens nouveaux et étroits avec tous les pays du Sud qui le souhaitent, afin de se donner l’objectif de peser positivement dans la mondialisation, pour faire avancer des propositions en faveur d’un véritable codéveloppement. Une telle ambition est réaliste. Elle est de nature à redonner sens à la construction européenne, en permettant aux nations qui y participent de mieux affronter ensemble l’avenir, mais aussi les urgences du présent.

Construire l’Europe sociale

Des millions de Français et d’Européens attendent en effet des institutions politiques et de l’Europe qu’elles répondent à leurs attentes en matière d’emploi, de lutte contre le chômage et la précarité, qu’elles permettent des progrès en matière de législations sociales, d’avenir des services publics, de paix et de coopération.
Car, incontestablement, l’Europe sociale reste à construire. Notre priorité absolue, en France comme en Europe, c’est la promotion de l’emploi, le développement des formations, le partage, des connaissances, l’élévation des protections sociales.
L’orientation libérale actuelle ne permet pas de s’inscrire dans cette perspective. Comment en effet, construire l’Europe sociale si on ne met pas en cause les exigences des marchés financiers ; si on ne valorise pas l’investissement utile et l’emploi ; si on ne limite pas la liberté des capitaux de jouer comme ils le font contre l’activité et l’économie réelles ? D’où notre proposition, entre autres, d’une taxe européenne sur les mouvements spéculatifs. Et il faudra bien rediscuter des pouvoirs et des missions de la Banque centrale européenne et du nécessaire contrepoids politique qu’il faut lui apporter. Le pacte de stabilité fragilise la croissance et étouffe les budgets sociaux. Nous proposons de lui substituer un « pacte pour l’emploi, la formation et la croissance », à négocier avec nos partenaires. Il doit permettre aux pays européens de se fixer ensemble de nouveaux objectifs sociaux comme la lutte contre l’exclusion, le recul de la précarité, l’instauration d’un salaire minimum dans chaque pays, des minima sociaux, la réduction du temps de travail sans diminution de salaire et avec création d’emplois, la non-discrimination dans le travail (selon le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle, le handicap…), ainsi qu’un haut niveau de protection sociale. Il doit également s’appuyer sur le secteur et les services publics. Cela suppose de ne pas les cantonner dans un service minimum pour confier ses missions essentielles au privé, mais au contraire d’élargir leurs compétences pour qu’il joue un rôle dynamique au service d’une Europe de l’emploi et du progrès humain. Il existe en la matière une singularité française, que nous ne prétendons pas imposer comme un modèle, mais qui peut contribuer au développement et à la modernisation des services publics en Europe. C’est un bon exemple de ce que nous proposons : une Europe où chacun apporte ce qu’il a de meilleur, avec la volonté d’harmoniser vers le haut les normes et législations sociales.

Une dimension citoyenne

J’ai la conviction également qu’à ce volet antilibéral, il faut inséparablement ajouter la dimension citoyenne. Si l’Union européenne connaît aujourd’hui une grave crise de légitimité, c’est parce qu’elle ne répond pas aux aspirations des citoyens, qu’elle leur semble étrangère ou inaccessible.
L’opacité, le manque de transparence dans les mécanismes de décision, l’absence de contrôle démocratique ne sont plus acceptés. La crise que traverse la commission européenne est révélatrice à cet égard.
En effet, l’Europe ne sera forte que si elle permet aux citoyens d’intervenir dans sa construction.
Il est nécessaire de prendre des mesures politiques et institutionnelles qui donnent aux citoyens, aux acteurs des mouvements sociaux et associatifs, des nouveaux droits d’information et d’intervention, jusqu’à la prise de décision.
Il faut donc une profonde réforme des institutions européennes visant à limiter et à contrôler les pouvoirs des institutions non élues - notamment celui dont dispose la Commission de Bruxelles -, à définir par vote de chaque parlement le mandat confié au Conseil européen avant chacune de ses négociations et à doter le parlement européen de pouvoirs suffisants d’expertise et de contrôle sur la Commission, sur la Banque centrale européenne et sur l’ensemble des centres de décision non élus.
En ce sens, je n’oppose pas Europe forte et souveraineté nationale. Une citoyenneté active, moderne, doit aussi s’épanouir dans sa dimension européenne. Ainsi, l’élargissement des pouvoirs du parlement européen ne se substitue en aucune manière au nécessaire renforcement des prérogatives du parlement national, ni au recours au référendum - précédé de larges débats nationaux et européens - à chaque étape marquante de la construction européenne.
Cette citoyenneté est au cœur de notre projet européen. En ouvrant sa liste pour moitié à des personnalités engagées dans le mouvement social, dans des combats progressistes, le Parti communiste a voulu préfigurer de nouveaux rapports entre société et politique, entre citoyens et élus, entre la France et l’Europe. Il veut faire vivre avec cette diversité constructive un vrai débat avec les citoyens sur le sens de la construction européenne et la nécessité de sa réorientation, y compris pour la réussite du changement en France.
Ensemble, nous voulons contribuer à une union des nations souveraines et solidaires qui, dans une relation d’égal à égal, se donnent les moyens de répondre à des problèmes communs : par la transparence, par une authentique démocratie et dans l’objectif de mise en partage.