Bastin J.F., Barbier N., Réjou-Méchain M., Fayolle A., Gourlet-Fleury S., Maniatis D., de Haulleville T., Baya F., Beeckman H., Beina D., Couteron P., Chuyong G., Dauby G., Doucet, V. Droissart J.L., Dufrêne M., Ewango C., Gillet J.F., Gonmadje C.H., Hart T., Kavali T., Kenfack D., Libalah M., Malhi Y., Makana J.R., Pélissier R., Ploton P., Serckx A., Sonké B., Stevart T., Thomas D.W., De Cannière C., Bogaert J., 2015. Seeing Central African forests through their largest trees. Scientific Reports, 5 : 13156. Doi : 10.1038/srep13156
Les gros arbres : des éléments clés de la dynamique forestière amazonienne
Sylvie Gourlet-Fleury
Montpellier, France
Biens et services des écosystèmes forestiers tropicaux (BSEF)
Jean-François Bastin
Université libre de Bruxelles
Ecologie du paysage et systèmes de production végétale
11/2015
En Afrique centrale, les grands arbres et quelques espèces hyperdominantes jouent un rôle prépondérant dans le stockage du carbone et la structuration des forêts. Ces résultats, issus d’une vaste enquête menée par des scientifiques du Cirad en collaboration avec de nombreux chercheurs du Nord et du Sud, viennent combler une lacune dans la connaissance de ces forêts, qui constituent pourtant un enjeu majeur pour les pays de la région. Ils débouchent concrètement sur de nouvelles méthodes d’estimation des stocks de carbone, à la fois simples et économiques.
Second massif forestier mondial par sa taille, les forêts d’Afrique centrale sont mal connues, en particulier quant à leur capacité de stockage du carbone. Elles constituent pourtant un enjeu majeur pour les pays de la région, qui vont devoir ajuster la gestion de leurs forêts aux contraintes du changement climatique.
Pour les forêts du bassin Amazonien, plusieurs études récentes révèlent que les principaux éléments structurants sont les grands arbres et à peine 1 % des espèces qui les composent. Qu’en est-il en Afrique centrale ? Et comment ces connaissances peuvent-elles permettre de mieux comprendre et mieux surveiller l’état des forêts tropicales ?
Ces questions ont fait l’objet d’une étude menée par une équipe de chercheurs en écologie des forêts. Composée de scientifiques du Cirad et d’institutions du Sud et du Nord, l’équipe a analysé les données concernant les forêts de quatre pays d’Afrique centrale : le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Gabon.
Les chercheurs ont, tout d’abord, mis en évidence le rôle prépondérant joué par les grands arbres dans ces forêts.
Ils ont en effet établi que le rapport entre les plus grands individus et l’ensemble du peuplement forestier, qui détermine la structure de la forêt, est stable.
Forts de ce constat, ils ont conçu des modèles pour prédire les propriétés structurelles de l’ensemble du peuplement à partir d’informations recueillies sur quelques grands individus seulement.
En partant de ces modèles, les chercheurs ont montré qu’en mesurant seulement 5 % de ses individus, il était possible de réaliser le bilan carbone du peuplement forestier tout entier, avec moins de 15 % d’erreur. Il s’agit là d’un vrai progrès car jusqu’à présent, pour estimer le bilan carbone d’une forêt, il fallait mesurer près de 400 arbres par hectare.
C’est un résultat particulièrement important dans le cadre des recherches sur le changement climatique : il devient beaucoup plus facile et économique d’estimer le stock de carbone contenu dans les forêts denses.
D’un point de vue pratique, en effet, il suffit de mesurer les arbres dont le diamètre est supérieur à 50 centimètres à 1,30 mètre de hauteur, soit 7 % des individus seulement, pour expliquer plus de 90 % de la variation des stocks de carbone forestier.
Il est aussi possible d’améliorer la précision des cartes de prédiction des stocks de carbone réalisées à partir d’images satellitaires, en se concentrant sur les plus grands arbres, directement observables depuis l’espace.
Par ailleurs, et pour la première fois en Afrique centrale, les chercheurs ont identifié certaines espèces dominantes qui contribuent de façon disproportionnée aux stocks de carbone totaux, puisque 1,5 % des espèces recensées contiennent plus de 50 % des stocks de carbone des forêts étudiées.
La présence de ces espèces, appelées « hyperdominantes », corrobore les résultats obtenus en Amazonie : un petit nombre d’espèces joue un rôle déterminant dans le stockage du carbone forestier.
Cependant, contrairement à ce que l’on observe en Amazonie, une partie non négligeable des espèces hyperdominantes d’Afrique centrale ne sont pas particulièrement grandes et ne dépassent que rarement 70 centimètres de diamètre à 1,30 mètre de hauteur. Ces espèces sont hyperdominantes non pas du fait de leur taille, mais du fait de leur abondance et de leur large répartition dans les forêts d’Afrique centrale.
Compte tenu des fonctions clés qu’elles remplissent dans les écosystèmes et de leur rôle dans le stockage du carbone, il est essentiel, à présent, d’identifier toutes ces espèces. Cette identification permettra de mieux comprendre les différences écologiques et fonctionnelles entre les régions tropicales et d’élaborer des stratégies de conservation appropriées.