Quand le ciel tombe sur la terre !

A-AO-Remy-TembaRemy Temba pratique des méthodes de culture respectueuses de l’environnement sur les contreforts du Kilimandjaro en Tanzanie.© FAO/S. Maina

Les changements climatiques en cours et à venir vont obliger l’agriculture à se transformer pour assurer la production alimentaire de demain. Pour répondre à ce défi, la FAO et d’autres organisations ont lancé en 2010 le concept d’agriculture intelligente face au climat lors de la première conférence mondiale sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique de La Haye. Que recouvre-t-il ?

“Au cours des dernières décennies, des changements du climat ont causé des impacts sur les systèmes naturels et humains sur tous les continents et à travers les océans”, souligne le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC). Pour le secteur agricole, l’enjeu est déterminant et crucial pour l’avenir.

Le changement climatique est déjà une réalité pour de nombreux petits agriculteurs. Le réseau AfricaAdapt, dont l’objectif est de partager les connaissances sur l’adaptation au changement climatique en Afrique, a recueilli des témoignages des communautés locales à travers l’Afrique, du Burkina Faso au Cameroun en passant par le Zimbabwe ou le Malawi, sur les impacts sur l’agriculture familiale. Des périodes sèches plus longues, une moindre disponibilité en eau, l’accroissement des inondations et de la désertification, l’imprévisibilité de la météo et du changement dans les saisons sont quelques impacts mentionnés par les communautés. Avec comme conséquence une baisse des rendements et donc de la production.

Ces communautés se sont toutefois adaptées en introduisant des techniques comme le système d’irrigation goutte à goutte ou de récupération d’eau, l’utilisation de variétés améliorées à maturation précoce, des méthodes de conservation des sols. Mais une façon de s’adapter, voire de survivre, a aussi été de migrer ou de se détourner des activités agricoles. Elles pratiquent, en quelque sorte, une agriculture intelligente face au climat (AIC). Le concept s’articule autour de trois piliers principaux : une augmentation durable de la productivité et des revenus agricoles (sécurité alimentaire) ; l’adaptation et le renforcement de la résilience face au changement climatique (adaptation) ; la réduction des émissions et/ou l’absorption de gaz à effet de serre où cela est possible (atténuation). À travers cette approche, la FAO compte développer les conditions techniques, politiques et d’investissement nécessaires pour parvenir à une agriculture durable répondant aux enjeux de la sécurité alimentaire dans le contexte du changement climatique.

Répondre à une urgence

Vaste et ambitieux que ce concept d’agriculture intelligente, encore très jeune par ailleurs. Il a le mérite de tenter de répondre à une urgence pour de nombreux agriculteurs et parmi ceux-ci les plus vulnérables, en particulier en Afrique où 95 % de l’agriculture est pluviale.

Dans l’AIC, tout n’est pourtant pas nouveau ! Au contraire. De nombreuses pratiques et/ou technologies relèvent d’un développement durable de l’agriculture, d’une meilleure gestion des ressources naturelles et sont parfois basées sur des savoirs ancestraux, revisités aujourd’hui. Des pratiques issues de l’agriculture de conservation, de l’agroforesterie ou encore de l’agroécologie qui permettent de s’adapter au changement climatique : introduire des arbres dans les systèmes agricoles pour capter l’azote ; créer des piscines, barrages ou cuvettes pour récolter et retenir l’eau ; adopter de nouvelles variétés de semences (une variété de riz résistante à la salinité des eaux et aux inondations ou une variété de maïs tolérante à la sécheresse) ; mettre en place des systèmes de culture en semis direct sur couverture végétale permanente (SCV), etc.

Afin de limiter la production de méthane et d’oxyde de carbone liée directement aux activités agricoles, des solutions sont aussi possibles. Ainsi, le programme East Africa Dairy Development (EADD), qui aide quelque 200 000 agriculteurs à améliorer leur production laitière et à leur faciliter l’accès au marché, cherche à réduire l’empreinte climatique de l’industrie laitière en changeant l’alimentation des vaches (amélioration des espèces fourragères, plantation de légumineuses pour l’alimentation animale, utilisation des sous-produits agricoles) tout en utilisant le fumier pour produire des engrais et du biogaz.

Des pratiques qui pourront être optimisées en mobilisant et perfectionnant les services nationaux et régionaux de météorologie. D’ores et déjà, plusieurs pays produisent des bulletins météorologiques répondant aux besoins des agriculteurs et qui sont diffusés par SMS, en Ouganda ou au Kenya, par exemple, et/ou via les radios rurales. Le Centre africain pour les applications de la météorologie au développement (ACMAD) et le Centre régional AGRHYMET donnent, par exemple, des prévisions saisonnières des pluies.

Atteindre le plus grand nombre

Des exemples de pratiques et d’innovations pertinentes face aux changements climatiques existent dans différentes chaînes de valeur, tant dans les pays développés qu’en développement. Le défi est de les faire connaître, de les diffuser et, in fine, qu’elles soient accessibles, appropriées et facilement adaptables pour les agriculteurs. Le Programme de recherche du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS) mène plusieurs actions pour atteindre les zones rurales et transmettre aux agriculteurs les connaissances pour “être intelligents face au climat”. Au Kenya, avec l’émission hebdomadaire de téléréalité “Shamba Shape-Up”, le CCAFS a touché plus de 3 millions de spectateurs ; au Népal, des “jingles” d’une minute sur le thème du changement climatique et de son adaptation sont diffusés à la radio ; au Sénégal ou au Bénin, les radios communautaires communiquent aux agriculteurs des bulletins météorologiques “sur-mesure”, adaptés à leurs besoins.

“L’information sur l’AIC est primordiale. Au moment où les systèmes nationaux de vulgarisation traditionnels sont faibles, totalement effondrés dans certains pays, des méthodes novatrices pour faire passer le message aux agriculteurs aussi rapidement que possible sont essentielles. Cela est particulièrement vrai étant donné que certaines des techniques sont des technologies naissantes et/ou à forte intensité de connaissances”, remarque Oluyede Ajayi, coordinateur de programme senior, Politiques de développement agricole et rural (DAR) au CTA.

Le CCAFS a aussi établi une quinzaine de “Climate-Smart Villages” (CSV) en Afrique de l’Ouest, de l’Est et en Asie du Sud, qui ont pour vocation d’être des centres expérimentaux des différentes stratégies d’adaptation, des technologies et pratiques en privilégiant les interactions entre les chercheurs et les populations locales.

Si renforcer les capacités des agriculteurs est une étape nécessaire pour s’adapter au changement climatique, instaurer des politiques pour créer un environnement favorable et incitatif est tout aussi indispensable. “Certaines politiques et dispositions institutionnelles dans une zone géographique donnée peuvent parfois limiter l’adoption de l’AIC. C’est le cas par exemple lorsque le système foncier limite la plantation d’arbres pérennes dans les exploitations agricoles, en particulier lorsque les agriculteurs sont locataires et n’ont donc pas de droits de propriété permanents qui garantissent leur investissement à long terme”, souligne Oluyede Ajayi. Basées sur une approche multisectorielle, ces politiques devront être propices à inciter les paysans à investir dans l’AIC.

Un concept fourre-tout ?

Certaines ONG françaises mais aussi anglaises et néerlandaises abordent l’AIC avec prudence. “Il s’agit d’un concept relativement flou, où l’on retrouve des pratiques qui sont potentiellement très diverses et certaines sont largement contestées, notamment pour leur impact négatif sur l’environnement et les populations. Par exemple, on retrouve les OGM ou l’usage intensif de pesticides ou d’intrants chimiques”, indique Pierre Ferrand, chargé du projet Développement agricole et filières agroalimentaires au GRET. En outre, il estime que l’AIC fait l’impasse sur l’agroécologie qui tend, de plus en plus, à prouver que l’on peut se passer d’un retour massif aux intrants chimiques et aux OGM. Pierre Ferrand s’interroge également sur la forme que va prendre la future Alliance mondiale pour l’AIC (ACSA), qui devait être officiellement lancée par le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, en septembre lors du sommet mondial sur le climat à New-York. “Sur la gouvernance en tant que telle, il n’y a aucune visibilité sur les acteurs qui piloteraient cette fameuse alliance, aucune définition sur les règles ou la redevabilité des différentes parties prenantes, ni sur la capacité de contrôle sur les pratiques d’investissement qui seront labélisées dans ce cadre”, soutient Pierre Ferrand.

L’Alliance pourrait être un moyen de mobiliser des ressources financières pour faire face au coût global de l’adaptation du secteur agricole au changement climatique. Un coût qui serait de 7 milliards US $ selon les estimations les plus basses, mais qui pourrait atteindre jusqu’à 14 milliards US $ par an. Car si des solutions existent, elles constituent un coût pour les agriculteurs familiaux.

Anne Guillaume-Gentil



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