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L’incroyable histoire des cépages interdits

Six cépages sont interdits à la vinification depuis 1935, pour des raisons économiques et de « bon goût ». Quelques passionnés continuent à les cultiver.

grappesClinton, noah, jacquez, herbemont, othello, isabelle : depuis 1935, ces six cépages (types de plants de vigne) sont interdits. Les vignerons ne peuvent pas utiliser leurs raisins pour composer du vin. La rumeur dit qu’ils rendraient fous, quand la loi ordonnant leur interdiction invoque la surproduction d’alors. D’autres estiment que l’on doit leur prohibition à leur saveur particulière, qui ne correspond pas au « bon goût ». D’autres encore y voient la main de l’industrie chimique et des grands domaines viticoles…

« Depuis l’Antiquité, on n’avait jamais mis de produit chimique dans une vigne », rappelle l’historien Pierre Gallet (1). Au XIXe siècle, la situation bascule avec l’importation de cépages américains, comme l’isabelle. L’exotisme de cette vigne « sauvage » fait alors le prestige du bourgeois et la joie du botaniste. Mais les parasites qui l’accompagnent vont faire le malheur des vignerons et autres paysans français : la vigne européenne est incapable de faire face, notamment à l’oïdium et au phylloxera, qui se répand comme une traînée de poudre à partir des années 1860. Vingt ans plus tard, les trois quarts du vignoble français ont disparu ! C’est ainsi que la création d’un vignoble algérien est encouragée. En métropole, les traitements chimiques se généralisent… et l’on replante le vignoble avec des plants américains naturellement plus résistants et productifs, auxquels on greffe des cépages français. De nombreux hybrides franco-américains sont créés.

En 1910, on produit autant qu’avant les ravages du phylloxera, et toujours plus, en particulier en Algérie où la main d’œuvre est très bon marché. Jusqu’à dépasser les 100 millions d’hectolitres en 1934 ! Certains députés préconisent alors de contingenter la production algérienne qui, bénéficiant d’un régime fiscal favorable, avait doublé en dix ans. C’est finalement l’interdiction de certains cépages qui est retenue. Mais pourquoi ces six cépages en particulier ? Freddy Couderc, amateur passionné, a étudié de près les débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi. Pour lui, pas de doute : cette vigne qui « prenait peu de maladie », et qui nécessitait peu, ou pas de traitement, était « inadmissible : il fallait à tout prix pouvoir vendre des produits chimiques ! ». Le passionné relève en effet que des cépages très productifs, mais nécessitant des soins particuliers, comme l’aramon, n’ont pas fait l’objet d’une interdiction. Il montre également que le « bon goût » a joué pour déterminer les cépages à interdire, rapportant ainsi les propos d’un sénateur qui avait évoqué des « cépages qui ont des goûts détestables, d’autres moins mauvais qui sont tout de même des cépages inférieurs ».

Dans les Cévennes ardéchoises, tous les pieds de ces « cépages inférieurs » n’ont pas été arrachés… Sur un petit hectare de coteaux schisteux bien orientés, Hervé Garnier entretient un vignoble centenaire de Jacquez. Seuls les membres de l’association « Mémoire de la vigne » ont le privilège de savourer ce vin à l’arôme framboise, obtenu sans intrants chimiques (2). Sont-ils devenus fous, conformément à la rumeur ?

Nous avons réalisé des analyses extrêmement pointues sur le vin, et le résumé de l’analyse est très simple : « rien de dangereux dans votre pinard, à part les molécules de désherbants » utilisés par les anciens propriétaires ! 
. Aujourd’hui, à l’image de l’association Fruits oubliés (3), de plus en plus de voix s’élèvent pour demander la levée de l’interdiction, déplacée à l’échelle européenne.

Fabien Ginisty

(1) Sauf précision contraire, les citations de l’article sont tirées de l’émission Terre à Terre du 29 décembre 2012 (franceculture.fr/emission-terre-a-terre-les-cepages-interdits-2012-12-29)

(2) Voir aussi l’article consacré à « Mémoire de la vigne » dans l’AdF n°73

(3) L’association Fruits oubliés milite pour l’autorisation des cépages interdits. Elle a édité un cahier technique pour la culture et la vinification des cépages interdits : fruitsoublies.fr

Cet article est paru en page 4 du dossier « de la terre à la bouteille » du numéro de septembre du journal L’âge de faire en vente au prix de 2 euros ici (L’âge de faire, journal sans publicité ne vit que grâce à ses abonnés, merci de votre soutien !)

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