LA TRAQUE AUX TRACES
ORGANIQUES
Parution du 10 juillet 2014
Qu’ils aient une origine anthropique
ou naturelle, des types très divers de micropolluants organiques (MPO) sont présents
dans l’environnement. Ils peuvent se retrouver dans les produits organiques
valorisés en agriculture, par l’intermédiaire des matières premières mises en
œuvre. Ces micropolluants sont potentiellement dégradables, car de nature
organique, mais les vitesses de dégradation sont très variables selon les
composés : de quelques jours à plusieurs dizaines d’années… La toxicité de
certains, et leur persistance dans l’environnement, expliquent pourquoi
certains MPO sont surveillés dans les produits organiques. Les différentes
réglementations imposent des valeurs limites à ne pas dépasser, en fonction
de la nature du produit concerné et du cadre de son utilisation.
Pour compléter l’article
de l’Agro Reporter paru le 27/03/14 (relire)
qui traitait des ETM dans les composts de déchets verts, nous abordons cette
fois la problématique des MPO que l’on peut retrouver dans les composts et
les boues.
Que traque-t-on ?
Encore appelés Composés Traces Organiques (CTO), les MPO sont
potentiellement présents dans les produits synthétiques, sous-produits
utilisés par l’industrie ou à des fins domestiques.
Ils regroupent plusieurs types de composés contenant un ou plusieurs atomes
de carbone. On peut distinguer deux grandes familles : les pesticides et les
autres micropolluants organiques. Ces derniers comprennent notamment les
hydrocarbures (dont les HAP), les PCB, les dioxines et furannes (PCDD/PCDF), les
détergents, les retardateurs de flammes (PBDE), les imperméabilisants (PFC),
les molécules médicamenteuses…
La plupart de ces composés entrent dans la composition de produits d’usage
courant et sont donc susceptibles de se retrouver dans nos déchets et nos
eaux usées, puis dans les boues, du fait de leur affinité pour la matière
organique. Leur présence est donc principalement liée à l’action de l’homme,
quoique certains polluants puissent avoir une origine naturelle.
Les réglementations françaises actuelles sur les boues et les composts
n’imposant des seuils que sur les 7 PCB et/ou les 3 HAP les plus communs,
dans cet article nous n’évoquerons pas les
autres types de micropolluants organiques susceptibles d’être présents,
ceux-ci étant de ce fait rarement analysés dans ces matrices. Toutefois, les
substances prioritaires à surveiller sont toujours susceptibles d’être
modifiées à l’occasion des révisions réglementaires au niveau européen.

Origine et danger toxicologique des
HAP et PCB
Les Hydrocarbures Aromatiques
Polycycliques (HAP) sont présents dans l'environnement du fait de
différents processus dont : la biosynthèse par des organismes vivants (1) , les pertes à partir
du transport ou de l'utilisation des carburants fossiles, la pyrolyse des
matières organiques à haute température, la combustion des charbons et pétroles.
Ce dernier processus constitue la principale voie d'introduction des HAP dans
l'environnement.
Comme illustré par la Figure 1, la principale source de HAP est le secteur
résidentiel, qui représente encore près des deux tiers des émissions mais qui
continue à baisser. Le transport routier participe significativement, avec
30% des émissions de HAP en 2011, en particulier les véhicules diesel dont la
proportion est en augmentation dans le parc automobile. À l’échelle locale,
les tendances peuvent être fortement différentes. Plus d’information sur les
sources de HAP : ici
Un
certain nombre de ces composés sont cancérigènes, en particulier les trois
HAP retenus dans l’arrêté du 8/01/1998 (épandage des boues) ou dans les
normes des amendements organiques : fluoranthène, benzo(b)fluoranthène et
benzo(a)pyrène. Il s’agit de HAP dits « pyrogéniques » (produits par
combustion de matière organique, combustibles fossiles ou bois), par
opposition aux HAP « pétrogéniques » (hydrocarbures d’origine naturelle,
présents dans les bruts pétroliers, qui se caractérisent par une forte
proportion d’hydrocarbures ramifiés).
D’après leurs caractéristiques biochimiques, une fois émis dans l’atmosphère,
ces composés vont avoir tendance à s’accumuler dans les différents
compartiments solides de l’environnement (sols, sédiments, matières en
suspension).

Les polychlorobiphényles (PCB), aussi appelés biphényles
polychlorés, forment une famille de 209 composés aromatiques organochlorés
dérivés d’un hydrocarbure aromatique polycyclique, le biphényle. Ils sont
également cancérigènes, au même titre que les dioxines (PCDD) et furannes
(PCDF) de la même famille. Ce sont des substances huileuses ou solides à forte
inertie thermique, aujourd’hui interdits d’utilisation, mais que l’on peut
encore trouver dans les anciens matériels où ils pouvaient servir d’isolants
électriques, dans les transformateurs comme fluide hydraulique ou comme
plastifiant dans certaines résines. On les retrouve aussi dans les
condensateurs, les peintures, certains plastiques, les fours à micro-ondes….

PCB
et HAP font partie des Polluants
Organiques Persistants (POPs), définis lors de la Convention de
Stockholm. Ce sont des substances organiques qui : i) possèdent des
caractéristiques toxiques, ii) sont persistantes, iii) sont susceptibles de
bioaccumulation, iv) peuvent aisément être transportées dans l’atmosphère
au-delà des frontières sur de longues distances et se déposer loin du lieu
d’émission et enfin v) risquent d’avoir des effets nocifs importants sur la
santé et l’environnement aussi bien à proximité qu’à une grande distance de
leur source.

Des concentrations différentes
selon le type de produit
Les voies de contamination des composts et des boues par les MPO sont variées
(2). La déposition atmosphérique et l’application de produits phytosanitaires
représentent les voies de pénétration les plus importantes. La contamination
des eaux et la déposition atmosphérique peuvent être à l’origine de l’apport
de MPO dans les boues d’épuration. Quant aux engrais de ferme, ils ne sont
pas exempts de ces substances, dont la provenance peut être liée à
l’utilisation des médicaments vétérinaires, ainsi que de dépôts
atmosphériques.
La déposition atmosphérique constitue en réalité la voie prépondérante de
contamination des déchets organiques et des composts par les MPO. Les teneurs
de ces substances dans les composts provenant de régions urbaines peuvent
être plus élevées que ceux provenant de régions rurales. Toutefois, une
grande majorité des produits organiques présente des concentrations en MPO
très inférieures aux seuils réglementaires.

Comportement
des MPO durant le compostage
Des études sur la dégradation des MPO pendant le compostage indiquent que les
HAPs peuvent être dégradés durant cette étape, alors que les quantités de
PCBs ou de dioxines et furannes restent plutôt inchangées (substances peu
dégradables). Les HAPs sont minéralisés ou transformés par des processus
biologiques. Dans certains cas, les métabolites créés peuvent être plus
toxiques que leurs substances-mères. Une partie de ces composés peut
s’adsorber fortement à la matière organique et devenir indétectable par
les méthodes analytiques usuelles. Toutefois, étant fortement adsorbée à la
MO, cette fraction n’est pas ou peu disponible pour les organismes terrestres
(2) .
D’autres études ont montré que lorsque la dégradation de la matière organique
est plus rapide que la dissipation du polluant, la concentration en ce
polluant augmente au cours du compostage : le pourcentage de dissipation est
dans ce cas négatif, par un effet de concentration.
La biodégradation des MPO semble principalement réalisée par co-métabolisme,
ce qui signifie que les microorganismes ne retirent aucun bénéfice (source
d’énergie ou de matière) du métabolisme des MPO (3) .
Ces observations confirment d’autres
essais montrant que la stabilité de la matière organique des composts
conditionne le devenir des MPO après l’épandage. Des incubations réalisées
dans le cadre du suivi des micropolluants après épandage (4) ont montré qu’en cas
d’apport de compost dont la matière organique est bien stabilisée, la
présence d’une microflore spécifique permet l’épuration d’une proportion non
négligeable de fluoranthène.
Et
le devenir des MPO après retour au sol ?
Selon les études menées (programme
QualiAgro INRA), aucun effet de l'apport des produits résiduaires
organiques (composts, effluents de fermes…) n'est visible dans les
récoltes. De plus, les concentrations des récoltes ne sont pas en lien
avec les concentrations de MPO dans le sol : les MPO les plus abondants dans
le sol, ne sont pas les plus abondants dans les récoltes.
Une partie importante de ces substances distribuées sur les sols suite à
l’épandage de composts est dégradée ou adsorbée aux particules du sol.
L’apport de matière organique par application de compost devrait réduire la
biodisponibilité des MPO présents dans le sol et ainsi limiter les effets
toxiques.
Au laboratoire
Il faut souligner que les méthodes d’analyses de certains composés organiques
sont encore en développement et ne sont pas standardisées actuellement. Le
laboratoire doit être capable de travailler dans des gammes de concentrations
larges (en cas de pollution) tout en atteignant des limites de quantification
faibles (µg/kg, voire pg/kg). Les difficultés analytiques sont dues aussi à la
complexité des matrices étudiées qui se traduisent par ce qu'on appelle «
effets matrices » et de la capacité technique à pouvoir identifier puis
quantifier le polluant, par GC/MS-MS ou LC/MS-MS par exemple. Pour les HAP et
PCB en revanche, il existe une méthode standardisée. Relire
l’article sur le dosage des MPO au LCA. Le Laboratoire LCA est d’ailleurs
accrédité par le Cofrac pour l’analyse de ces composés traces dans les boues
(Programme 156) et dans les amendements organiques et supports de culture
(Programme 108).
(1)
Krauss, M. ;Wilcke, W. ;Martius, C. ; Bandeira, A.G. ;Garcia, M.V.B.,
Amelung, W.(2005). Atmospheric versus biological sources of polycyclic
aromatic hydrocarbons (PAHs) in a tropical rain forest environment. Environmental
Pollution, 135, 143-154.
(2) « Présence et importance des micro-polluants organiques dans le compost,
le digestat et les déchets organiques – Étude bibliographique. Rapport final
du module 1 du projet micro-polluants organiques dans le compost et le
digestat en Suisse ». R. Brändli, T. Kupper et al. Novembre 2004.
(3) Lashermes, G (2010). Évolution des polluants organiques au cours du
compostage de déchets organiques : approche expérimentale et modélisation »
(Thèse de doctorat, AgroParisTech, FRA).
(4) Vergé-Leviel, C. (2001). Les micropolluants organiques dans les composts
d'origine urbaine: étude de leur devenir au cours du compostage et
biodisponibilité des résidus après épandage des composts au sol (Thèse de
doctorat, Institut National Agronomique Paris-Grignon, FRA) in http://www7.inra.fr/dpenv/pdf/houaud25.pdf
|